Dans un entretien au « Monde », Dominique Wolton, chercheur en communication, appelle à arrêter «d’idolâtrer Internet» et estime que les agences de communication ne doivent pas oublier la créativité «au nom des enjeux d’un marché mondialisé et standardisé». 

Directeur de recherche en sciences de la communication au CNRS et directeur de la revue internationale Hermès (CNRS), président du conseil de l’éthique publicitaire de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, Dominique Wolton publie Communiquer, c’est négocier (CNRS éditions, 192 pages, 8 euros). Il défend la place de la création publicitaire, tout en appelant à se rebeller contre Ia fascination technologique.

Les grands groupes de communication ont survécu en s’équipant technologiquement. Cela ne s’est-il pas fait au détriment de la priorité donnée à la création publicitaire ?

Il était logique que les agences de communication s’adaptent, et cette adaptation doit s’effectuer en associant création, industrie, commerce et liberté. Mais avec un élément essentiel : le commerce ne doit pas l’emporter sur la créativité publicitaire au nom des enjeux d’un marché mondialisé et standardisé. On sait que la publicité issue d’une segmentation poussée et basée sur les comportements d’achat s’avère pauvre d’un point de vue créatif et humain. Or, comme la télévision, la presse et la radio, la publicité n’est pas une industrie banale et constitue un enjeu politique.

Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ont ouvert un champ d’expression sans précédent. En quoi est-ce une menace ?

L’industrie des données fait semblant de croire que la communication est facile et immédiate, alors que les relations humaines et politiques illustrent, tous les jours, le poids des « incommunications », les difficultés à se comprendre, et des « acommunications », c’est-à-dire la défaite de la communication, la violence et la guerre. L’autre paradoxe, c’est de voir les individus s’être toujours méfiés de la télévision, de la presse et de la radio au titre du risque de manipulation, mais faire preuve d’un manque de sens critique à l’égard de ce qui est publié sur les réseaux dits « sociaux ». Sans oublier que ces technologies gourmandes entraînent une consommation de ressources disproportionnée, eu égard à l’utilité sociale du ciblage publicitaire ou économique et politique.

Pourtant, ce sont les dictatures qui contrôlent, censurent, voire interdisent Internet…

Ce n’est pas parce que les dictatures exercent un contrôle sur Internet qu’il faut croire qu’Internet est le synonyme de la liberté dans les démocraties. Bien au contraire, il peut représenter de redoutables menaces – vie privée, spéculations, dark Web, harcèlement… Ce sont les Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft] qui développent cet argument, alors que, par ailleurs, elles gèrent et sont à la tête de la plus grande puissance financière, économique et politique mondiale.

Elles ne sont pas des industries de la liberté mais de la puissance : ces groupes créent des communautés là où on a l’illusion qu’ils offrent des services altruistes aux consommateurs et aux citoyens. Des millions de gens ne vivent plus qu’au travers de leur expression sur les réseaux et de leur consultation obsessionnelle.

Quelle solution voyez-vous pour sortir de cette forme d’« aliénation » ?

Comme nous sommes sortis, par exemple, de l’idéologie communiste après y avoir adhéré, il faut sortir de l’idéologie technique, qui se présente comme une utopie politique. Nous devons cesser d’idolâtrer Internet et, surtout, nous poser la question : « Internet et après ? », titre du livre que j’ai publié… en 1999.

Véronique Richebois

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